Two blue ones: each an eye and/or

Nat Bloch Gregersen

9 avril — 14 mai 2022


Et/ou – cette indication que l’une, plusieurs ou toutes les possibilités énoncées peuvent se produire – est une conjonction appropriée par laquelle entrer dans l’œuvre de Nat Bloch Gregersen. Car sa pratique est truffée de multiplicités et de dualités, de « et » et de « ou ». Son exposition personnelle « Two blue ones : each an eye and/or » [Deux choses bleues : chacune un œil et/ou] présentée à In extenso révèle ainsi le cœur de sa pratique : une certaine interdisciplinarité qui brouille les frontières entre recherche artistique et scientifique.

À travers les œuvres présentées, on peut imaginer l’ouverture d’une dimension cosmique qui révèle la multiplicité et/ou la dualité des mondes qui se déploient « depuis le grain de sable du désert jusqu’aux lumières stellaires des constellations cosmologiques, [et comment], entre les brisures et les éclats du temps […], d’autres manières d’exister les un·es avec les autres, par-delà les partages métaphysiques (nature/culture, humain/non-humain, esprit/corps), [se réveillent]*. » Ici, le grain de sable est remplacé par des tiges de chardon alors que les constellations observent en retour le·la spectateur·rice à travers « deux choses bleues, chacune un œil et/ou », ravivant les idées d’existence.

Cette confrontation entre le physique et le cosmos reflète les diverses tensions entre le matériel/immatériel, le visible/invisible, le tangible/intangible en jeu dans la pratique de Nat Bloch Gregersen. Car si son intérêt peut résider dans l’observation de phénomènes scientifiques, un enracinement dans son monde physique lui permet de se confronter à ces observations. Lors d’une résidence à Clermont-Ferrand à l’automne 2021, elle a récolté des chardons séchés dispersés dans un jardin local. Ce sont ces chardons qu’elle présente ici, mais légèrement modifiés. Encapsulées dans la résine, ces mauvaises herbes habituellement indésirables sont désormais rendues précieuses, figées dans leur nouveau revêtement et ainsi suspendues dans le temps.

Cette suspension rappelle le processus de l’artiste consistant à capturer et à suspendre des gaz dans sa série d’œuvres lumineuses (Light techniques, 2018 – en cours). Animée par le désir de comprendre les sept « gaz nobles » – chacun d’entre eux étant inodore et incolore – Nat Bloch Gregersen visualise l’intangible, éclairée par les phénomènes et connaissances scientifiques découvertes lors de ses recherches transdisciplinaires. Une ligne poétique et lumineuse s’enroule ainsi sur elle-même, rendant visible l’immatérialité non seulement du gaz, mais aussi du langage évoqué par ces gribouillages illisibles.

Le langage est un autre des médiums préférés de l’artiste, qui a souvent recours à la poésie pour appréhender des récits complexes qui nous dépassent. Ce titre énigmatique, emprunté au texte en cours de l’artiste intitulé Dressed in Saturn, to have every dumb flower [Habillé·e en Saturne pour avoir chaque stupide fleur], fait ici référence aux planètes en orbite dans le domaine largement inexploré de notre système solaire : les géantes de glace Uranus et Neptune. Il existe donc un flux constant entre le cosmos, le corps (les yeux), la nature (le chardon) et le langage qui se déploie dans l’espace – qu’il soit visible ou non.

L’ensemble des œuvres peut évoquer une certaine immobilité, mais les multiples allers-retours entre la forme, la matière et la recherche n’en sont pas moins vibrants, présents. La pratique de Nat Bloch Gregersen peut ainsi être décrite comme une tresse, un entrelacement de matières. Une constellation de lieux, de choses, d’êtres, d’émotions et de phénomènes qui révèlent une équation d’interconnexions, une façon de comprendre le et/ou.

* David gé Bartoli et Sophie Gosselin, Le toucher du monde: techniques du naturer, Éditions Dehors, 2019, p. 353-354.


Nat Bloch Gregersen (née 1986 au Danemark) vit et travaille à Copenhague.

En 2019, Nat Bloch Gregersen a reçu le prix In extenso – Artistes en résidence à la Biennale de la Jeune Création Européenne accueillie par la ville de Montrouge. En tant que lauréate de ce prix, elle a bénéficié d’une résidence chez Artistes en résidence à Clermont-Ferrand (2021) pour réaliser sa première exposition personnelle en France, « Two blue ones : each an eye and/or ».

Son travail a récemment été montré à la galerie Alice Folker, Copenhague ; Rønnebæksholm, Næstved ; la Biennale « Interdimensionale 2 », Gammelgaard Artcenter, Herlev ; la Philipp Haverkampf Gallery, Berlin ; Den Frie – Center of Contemporary Art, Copenhagen ; et la Kunsthal Aarhus, Aarhus.