Loud Object

Camille Brée, CluelesS

4 juin — 30 juillet 2022


Il y a deux serrures. Je commence toujours par celle du haut en me demandant pourquoi je ne déverrouille pas l’autre en premier – je le ferai une autre fois. 
 

À la porte ouverte répond un murmure dans la pièce ; celui, familier, du bourdonnement indistinct, des pauses, des répétitions, des balbutiements. C’est le son du désir, de la lumière ternie, de la voix affaiblie. Le son d’un seuil.


On n’en peut plus : la chaise de bureau rouge qui se penche vers l’arrière quand je m’y assois, le tabouret, rouge lui aussi, qui a connu de meilleurs jours, la chaise pliante et son creux rond, pré-existant, la chaise rembourrée de faux cuir sur ses pieds de métal froid. Commence un long jeu de chaises musicales, bégayantes, auquel je joue seul·e.


Tout bégaie en ce moment. Cela fait partie de la routine. Répéter des sons, des gestes, interrompus par des pauses avant de poursuivre la trajectoire familière. Allumer les néons, allumer le chauffage, allumer les néons du bureau, allumer le chauffage du bureau, le second, sous la table, allumer la lampe de bureau, allumer l’ordinateur, l’écran. Le même soir du même jour, la même chose, dans l’autre sens. 


Puis 0465632525, le mystérieux numéro qui appelle, de lui-même, tout le temps. 

Le sentiment incompréhensible, le trouble dans l’invariable, tout le temps.


Quand je me déplace, ça colle, ça couine, tout y bégaie. Les pas bafouillés se glissent dans le bruissement qui envahit l’espace. Toujours le son du désir, le son d’un seuil. 


Une seule issue : casser le bégaiement avec un objet bruyant*.

*Loud Object


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À travers une pratique sculpturale, Camille Brée s’intéresse aux lieux et à leurs spécificités plastiques. Elle cherche à produire des formes qui ont la capacité de modeler des interactions avec les corps. Son attention se porte aux espaces en marge de l’exposition afin de mettre en place des dispositifs d’apparition et de présence. Jouant la plupart du temps avec les sources de lumière, les ombres et la transparence, ses propositions interrogent les conditions du visible et décentrent l’attention du·de la spectateur·trice. 

Camille Brée désigne le vide, l’immatériel. Et pourtant, le creux est loin du néant. Il invite plutôt les sensations à s’installer ; il prend la forme d’un contenant. La fonction joue ainsi un rôle considérable dans sa pratique, qu’elle soit littérale ou symbolique : ses veilleuses, par exemple, n’éclairent pas seulement un espace ou un chemin, mais accompagnent le public par leurs présences. Au lieu d’être à la merci du regard, ses œuvres créent des trajectoires pour ce dernier, le menant entre l’illusion et le réel, du  familier vers l’étrange.

Camille Brée est née en 1992 à Clermont-Ferrand. En 2015, elle est diplômée de l’ESACM avant d’intégrer, en 2020, le Dirty Art Department du Sandberg Institute (Amsterdam). Son travail a récemment été exposé au CAPC (Bordeaux), à Bagnoler (Bagnolet), et à Placement Produit (Aubervilliers). En automne 2022, elle présentera sa première exposition personnelle à la Galerie Madragoa (Lisbonne) dans le cadre d’un partenariat avec La BF15 (Lyon).

Site web, Instagram
 

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« Être dans son monde » est peut-être la manière la plus juste d’interpréter le mot « clueless ». Contournant les traductions péjoratives, qui pourraient désigner quelqu’un·e d’ignorant·e, « clueless » devrait plutôt être entendu comme la position de celle ou celui qui défie la réalité. Car CluelesS – le duo de designers composé de Saloméja Jacquet et Clara Stengel – développe un répertoire d’objets à usage quotidien destinés à résoudre des problématiques du réel en créant un monde légèrement décalé du nôtre.  

Leur pratique pourrait être vue comme un emprunt de formes, de structures et de matériaux existants et communs afin de mieux les détourner, leur donnant ainsi une nouvelle destination. Pourtant, ces divers allers et retours, ainsi que certains virages, résistent à de simples résumés et s’orientent vers quelque chose de multiple. Les fonctions décuplées, le croisement des techniques, les gestes cèdent la place à un riche vocabulaire développé par ces non-spécialistes qui touchent à tout. Le processus se lit à travers l’objet, révélant une manière de trouver des formes en les faisant, en répondant à un besoin immédiat et non prémédité. La souplesse – qu’elle se situe dans les matériaux employés ou dans la manière dont leurs gestes se déploient – est le fil rouge qui lie les productions entre elles. Chez CluelesS, un sac devient robe ; une chaise devient poche ; une poignée devient crochet… Ainsi, les usager·es ont le choix de se laisser porter par ces décalages, pour tendre vers un monde plus souple.

Saloméja Jacquet est née en 1994 à Paris. En 2017, elle est diplômée de la HEAD (Genève) en design de mode. Elle a notamment travaillé avec des designers tels que Bless et Mariel Manuel avant de co-fonder CluelesS.

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Clara Stengel est née en 1989 à Paris. Après ses études à l’ENSBA (Paris), elle obtient un CAP en ébénisterie en 2015. Avant de co-fonder ClulesS, elle a exposé son travail en France et à l’international. 

L’exposition « Loud Object » a été réalisée en partenariat avec La BF15 et Moly-Sabata Résidence d’artistes / Fondation Albert Gleizes.