Fluffers

Kevin Desbouis

4 février — 19 mars 2022


Katia Porro : Le salaire national moyen d’un·e fluffer aux États-Unis est de 53 954 dollars. Qu’est-ce qu’un·e fluffer ?

Kevin Desbouis : Un·e fluffer est une personne embauchée sur les plateaux de tournage de films pornos pour maintenir les acteurs·rices excité·e·s. Parfois, iels peuvent aussi être celleux qui nettoient les acteurs·rices.

K : Le·la fluffer est donc toujours dans les coulisses.

K : Dans le contexte de l’exposition, il s’agit de toute personne qui entre dans l’espace.

K : Quelqu’un·e m’a dit que le désir consiste à éprouver une limite. Comment savoir qu’une limite est une limite ? Quelle expérience serait la plus limite : le gagging (étouffement) ou dire je t’aime ?

K : Peut-être qu’il s’agit aussi de la distance que tu mets entre toi et le sujet ou l’objet. Mais il est vrai que parfois la confusion commence entre le sujet et l’objet et quelque chose se passe dans ce malentendu. D’une certaine manière, je considère le travail comme une sorte d’activité secrète parfois rendue visible. Je suppose que ça doit être obscène. Quelle était la dernière question ?

K : Selon toi, quelle expérience serait la plus limite : le gagging ou dire je t’aime ?

K : C’est drôle parce qu’en français, gag, gagging peut être traduit par “haut-le-coeur”, comme si ton cœur essayait soudainement de s’échapper de ton corps.

K : L’opacité ici peut être un peu difficile à avaler. Qui est ton public ?

K : Je ne sais pas… le public existe maintenant surtout sur Instagram, sur les plateformes. Tout le monde est sa propre plateforme désormais. En ce sens, tout le monde est un·e artiste et en même temps, tout le monde est dans le public, même malgré lui… je suppose que cet ensemble d’œuvres est une forme de réaction à cela.

K : Es-tu avec, pour ou contre le public ?

K : Un peu tout ça… ça dépend des jours, du contexte, si des attentes sont en jeu. Mais la plupart du temps on ne se rencontre pas, on ne parle pas. Je n’aime pas vraiment être dans les parages quand le travail est présenté. J’ai toujours cette vision du travail comme d’une baleine échouée que certaines personnes viendraient voir, quelque chose qui appartient à un autre endroit. 

K : L’artiste/public est un dispositif de mise en scène continue du soi, et la consommation de cette dramaturgie. C’est assez narcissique, un narcissisme qui négocie avec diverses formes d’insécurité, de reconnaissance mutuelle et des états d’excitation plus ou moins permanents. Comment cela se joue-t-il ici ?

K : L’exposition présente un aspect participatif non explicite qui s’accompagne certainement d’une forme de perversité. Par exemple, le masque déposé dans l’isoloir peut être porté pour visiter l’exposition. Des choses peuvent se produire, et elles peuvent être momentanément excitantes, mais aussi rapidement décevantes. Je n’ai pas de contrôle sur ça. En ce sens, j’ai probablement été en partie inspiré par certains mécanismes des réseaux sociaux, même si je ne les utilise plus.

K : Et le “truc” au sol ?

K : C’était un outil, pour garder une bouche ouverte. (Note : Une bouche ouverte longtemps produit beaucoup d’eau. La bouche produit tellement qu’elle crée un étang dans lequel le sujet peut se regarder.)

K : « …derrière le rideau, c’est notre reflet qui nous regarde. L’abîme est un miroir, le fantôme dans les objets est son designer, une histoire […] notre auto-anthropologie. » * La vitrine est comme une couveuse mais à l’envers. Bonhomme de neige sous une lumière rougeoyante, fondu. « Personnellement, tu matérialises Noël depuis l’arrière d’une vitre électrifiée. »*

K : Noël est un moment où tout ce que l’on désire circule plus intensément et peut être transformé en cadeau ; les émotions y sont exacerbées et performées. C’est un réservoir infini d’œuvres d’art. L’autre jour, j’imaginais qu’un jour les gens chieront des choses si belles, des produits magnifiques, qu’ils pourront les utiliser immédiatement, comme des outils, ou des cadeaux. Un cadeau est une chose magnifique qui peut arriver à tout moment, comme une preuve d’amour. Mais la répétition de la preuve d’amour vient avec une certaine forme de masochisme et une éthique personnelle. Le bonhomme de neige fondu est une sorte de sculpture mentale, ou un kit.

K : Cela me fait penser à une tradition de Noël en Catalogne, celle d’une bûche qui défèque des cadeaux. Le Caga Tio. La tradition scatologique est alors aussi riche que l’échange de cadeaux. Cet amour dont tu parles est comme la réflexion de celle·lui qui offre sur celui.celle qui reçoit. Un amour déguisé, paré et prêt à être totalement accepté.

K : Je suis si content que tu n’aies rien demandé au sujet du petit chien rouge.

K : La prochaine fois.

*Contemporary Art Writing Daily, Anti-Ligature Rooms, Cabinet, Plea, 2020


« Fluffers » fait suite à l’exposition « temples, metal, honesty » présentée à Belsunce Projects (Marseille) en 2021. Le projet a reçu le soutien du Centre d’art contemporain – la Synagogue de Delme et de Triangle-Astérides

Le travail de Kevin Desbouis a récemment été montré à la galerie Florence Loewy, Paris ; au CAPC, Bordeaux ; au Palais de Tokyo, Paris ; à Futura, Prague ; à Noah Klink, Berlin ; à la galerie Sultana, Paris, Arles.